Psychiatrie

Les passages à l’acte de la vie quotidienne chez l’adolescent : trouver d’autres voies possibles ?

Les médecins généralistes, pédiatres et médecins scolaires sont souvent les premiers confrontés aux manifestations symptomatiques impulsives chez les adolescents. Parmi ces conduites symptomatiques, nous pouvons citer les scarifications, brûlures, fugues, usage de toxiques, conduites agressives… La liste n’étant bien évidemment pas exhaustive. Le but de cet article est avant tout de proposer une expérience clinique qui, j’espère, pourra aider dans la prise en charge des adolescents. Il ne sera pas fait ici de distinction entre toutes ces conduites, elles seront évoquées ensemble ; elles manifestent toutes d’une façon ou d’une autre une souffrance psychique.

Le recours à un centre spécialisé

Le repérage symptomatique

Tout d’abord, le fait d’être dans une consultation psychiatrique participe énormément à simplifier l’abord de ces manifestations symptomatiques. L’essentiel du travail est accompli lorsque je reçois les patients. Les adolescents me sont adressés par les médecins de famille, pédiatres, médecins scolaires et bien évidemment les familles. Le travail de repérage symptomatique est généralement fait avant l’entretien psychiatrique. Les manifestations symptomatiques dont nous parlons apparaissent bruyantes, néanmoins elles nécessitent une recherche active.

Franchir le pas de la consultation spécialisée

Une des difficultés principales réside, me semble-t-il, en la capacité qu’aura le médecin somaticien à faire venir l’adolescent en consultation spécialisée. Si l’adolescent accepte au minimum un entretien psychiatrique, une grande partie du travail thérapeutique est fait. Cette alliance thérapeutique peut nécessiter un certain nombre de consultations. Sans vouloir ni psychiatriser, ni dramatiser la situation, il apparaît important que l’adolescent puisse s’adresser à une consultation de psychiatrie. En cas d’impossibilité, le praticien peut avoir recours à un conseil sur la conduite à tenir. Les CMPE, les maisons des adolescents sont des dispositifs qui peuvent être utilisés par les professionnels comme centre de recours.

L’exploration clinique

Détecter les troubles graves

Une exploration clinique rigoureuse permet de détecter des troubles psychiatriques potentiellement graves. Il faut poser le plus explicitement possible les questions aux adolescents, ne pas hésiter à rechercher des éléments de gravité. On ne trouve souvent que ce que l’on recherche.
Si des éléments font suspecter des conduites à risques, la question doit être clairement posée à l’adolescent. Ces symptômes sont à analyser dans un contexte global. Il apparaît important de considérer les scarifications, fugues, usage de toxiques ou conduites agressives comme des symptômes d’appel. Ceux-ci ne sont pas à traiter seulement pour eux-mêmes, même si cette étape est importante, mais aussi pour ce qu’ils disent. Un entretien clinique à valence psychiatrique avec un adolescent doit être organisé. Les éléments classiques de l’entretien tels que les a décrits le Dr Vachey dans son article « Quand orienter un adolescent vers un psy ? » dans le N°1 d’Adolescence & Médecine sont à rechercher. Il existe quelques spécificités que nous allons évoquer.

Informer des dangers et comprendre le contexte

Il faut informer les adolescents du danger inhérent à ces conduites. Par la suite, il faut tenter de comprendre le contexte de survenue de ces symptômes. Quand les manifestations sont-elles apparues ? A quel âge ? Un âge précoce (avant la puberté) doit alerter.

Cas des scarifications

Pour les scarifications, il est important de noter leur localisation : elles surviennent typiquement chez les filles de 13 à 18 ans sur le dos de la main, les poignets et les avant-bras. Une localisation au niveau du ventre, des cuisses, de l’abdomen, de la face, du cou, du thorax ou des organes génitaux est un signe de gravité. Il en est de même de coupures profondes faites avec intensité, des scarifications représentant des motifs, lettres, mots morbides : ces symptômes doivent également alerter. La survenue de scarification chez le garçon est également plus rare. Tous ces éléments d’atypicité doivent faire rechercher une pathologie psychiatrique sous-jacente : trouble de l’humeur, trouble borderline, psychose.
La prise en charge médicale des scarifications peut être un moment propice à l’exploration clinique. Demander à l’adolescent dans quelles situations surviennent ces conduites (état d’anxiété important, manifestations délirantes), rechercher des situations d’éventuel abus sexuel. Même si les scarifications sont rarement envisagées comme un moyen d’en finir, il est important de vérifier le risque suicidaire.

Recherche d’un repli

L’examen clinique se poursuivra alors par la recherche d’un repli, d’un infléchissement des résultats scolaires, d’une perte des intérêts.

Les stratégies corporelles des adolescents

Ces manifestations représentent souvent une solution que les adolescents ont mise en place : les adolescents utilisent beaucoup plus des stratégies corporelles pour dire les choses.

Métaboliser les difficultés

Ils recourent plus à des comportements moteurs afin de métaboliser les difficultés, les angoisses, les inconnues qu’ils peuvent rencontrer. Il existe une impulsivité plus importante dans cette période de la vie. Ainsi les scarifications, les fugues… sont à envisager comme des tentatives de solution, certes dysfonctionnelles.

Trouver d’autres solutions

Notre rôle est alors de permettre l’émergence d’autres compétences plus créatives amenant l’adolescent à trouver des solutions plus riches. Certaines équipes proposent aux adolescents dans un premier temps, pour remplacer les scarifications, qu’ils fassent claquer un élastique tendu sur leur poignet, ou prennent un glaçon dans la main. Ainsi, les adolescents ressentent une douleur qui peut remplir la même fonction d’apaisement que les scarifications. Ces petites solutions sont à valoriser ; elles figurent un changement, une nouvelle capacité que l’adolescent peut mettre en place et qui en appelle d’autres.

Cas clinique

Une de mes patientes avait souvent recours aux scarifications dans des contextes de débordements anxieux importants (examens, relations amoureuses, conflits avec la famille). Le recours à la sophrologie l’a particulièrement aidée à gérer son anxiété différemment. Le recours aux prises en charge corporelles est particulièrement utile dans des situations cliniques où l’impulsivité est au premier plan. Le reste de la prise en charge a consisté en une valorisation des compétences, dans un travail d’accompagnement réalisé par moi-même et une infirmière. Une orientation psychothérapeutique avait également été mise en place. La majeure partie de mes prises en charge se font en collaboration avec un(e) infirmier(-ère) qui réalise un travail de soutien et d’accompagnement pragmatique essentiel auprès des adolescents.

Connaître l’environnement de l’adolescent

Contexte de vie de l’adolescent

L’entretien s’attachera également à tenter de saisir une image de l’adolescent dans son contexte de vie. Quels sont ses centres d’intérêt, activités, loisirs, cercles amicaux, ambitions… Une vigilance particulière sera portée à la qualité de son tissu relationnel. L’isolement social à l’adolescence doit alerter le clinicien, il faut rechercher un possible trouble sous-jacent.

Un cas clinique

Un adolescent de 16 ans était venu consulter accompagné de ses parents ; il ne voyait plus ses amis depuis environ un an, ne sortait plus le weekend, avait progressivement déserté ses centres d’intérêt. Il se scarifiait également. En entretien, il présentait une bizarrerie de contact, un discours hermétique, des rires immotivés. Les entretiens ont mis en évidence une psychose débutante. Un traitement et une prise en charge ont pu se mettre en place. La précocité de prise en charge est importante sur le plan pronostique.

Parler des aspects positifs

Il est important de parler également en entretien de ce qui se passe bien. Amplifier les aspects fonctionnels avec les adolescents a une réelle vertu clinique ; de plus cela participe à augmenter l’alliance thérapeutique.

L’importance de l’exploration du système familial

La dynamique familiale sera également explorée, tant du côté de ses ressources que de ses troubles.

Le génogramme

Pour ce faire, on pourra utiliser un génogramme. Il est souvent plus interactif de demander à l’adolescent de le faire, on lui expliquera la méthodologie. Il est important de le réaliser sur trois générations. Le génogramme permet d’explorer l’histoire familiale avec l’adolescent de manière structurée. Il est souvent intéressant de le reprendre dans un second temps en présence des parents en se focalisant sur l’histoire adolescente des parents. Ceci peut permettre à l’adolescent de découvrir un certain nombre d’éléments de l’histoire des parents qui peuvent parfois éclairer la situation problématique actuelle. Cela permet également aux parents de se replonger dans leur histoire adolescente et parfois à ceux-ci de mieux percevoir les difficultés de leur enfant.

Cas clinique

Une fille de 16 ans était venue en consultation avec sa mère. Elle avait découvert que sa fille se scarifiait, les rapports entre elles s’étaient particulièrement dégradés. Sa mère apparaissait excessivement anxieuse en entretien. Le génogramme réalisé en entretien a permis à la mère de cette adolescente d’évoquer le suicide de son frère à sa fille, ce dont elle ne lui avait jamais vraiment parlé. Elle a pu ainsi expliquer à sa fille pourquoi elle se montrait aussi inquiète lorsque celle-ci manifestait le moindre symptôme inquiétant, et de manière symétrique cette adolescente a pu parler de l’escalade relationnelle qu’elle mettait en place avec sa mère.

Le génogramme est intéressant car il fixe le discours, il peut permettre la découverte de secrets de famille, la mise en évidence d’éléments de répétition.

Associer la famille

La famille doit bien évidemment être associée à cette évaluation. Réunir l’adolescent avec ses parents afin de pouvoir évoquer les difficultés est un objectif important des entretiens. Les parents représentent une importante ressource sur laquelle il faut s’appuyer. Il est bien évidemment des domaines dans lesquels la confidentialité peut être garantie à l’adolescent et d’autres dans lesquels sans mentir à l’adolescent il faut lui dire que l’on sera amené avec lui à en discuter avec ses parents. Il est beaucoup plus utile sur le plan thérapeutique d’organiser un entretien avec l’adolescent et ses parents. Avec l’exploration de la dynamique familiale, un travail de médiation pourra ainsi se mener. Si nécessaire une orientation en consultation familiale spécialisée pourra être organisée.

Conclusion

Cet examen apparaît important afin d’aider l’adolescent à trouver d’autres voies possibles.

 

Pour en savoir plus :

• Dumas JE. Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent. 3e édition. Paris, Bruxelles : De Boeck Université, 2007.

• Mâle P. Psychothérapie de l’adolescent. Paris : PUF, Collection-Quadrige, 1999.

• Marcelli D, Braconnier A. Adolescence et psychopathologie. Paris : Masson, 2008.